Mon fauteuil sent le pathé

L'âme humaine est ainsi faite qu'elle mène les combats qui la concerne, fussent-ils moins chevaleresques que d'autres. Pour les blogs c'est pareil, ce n'est pas ici qu'on va combattre la faim dans le monde ou la disparition des pandas, ici on monte au créneau pour s'insurger contre le placement numéroté dans les cinémas.

Et en particulier chez Gaumont-Pathé qui a généralisé ce système à l'ensemble de son parc de multiplexes depuis un mois. L'exploitant a d'ailleurs une longue tradition de mauvaises idées pour embêter ses clients. Il y a trois ans les sièges "premium" avaient été mis à l'essai dans une salle parisienne. Il s'agissait de proposer, pour un tarif de 3€ en supplément du prix de la place, des sièges plus confortables et mieux placés. Ou plutôt qui avaient été installés aux meilleurs emplacements, à la place des sièges "normaux". De ce fait on ne payait pas seulement plus cher pour être mieux assis qu'avant (ce qui aurait pu être acceptable) mais surtout pour être correctement situé, un privilège qui a toujours existé mais n'était jusqu'alors conditionné que par la ponctualité du spectateur et pas par son porte-monnaie.

Face au mécontentement des spectateurs, aux faibles retombées économiques et à la suite d'une motion déposée au Conseil de Paris sur ce sujet, l'idée avait été abandonnée. Pour mieux revenir, sous la forme plus populaire des fauteuils D-Box. Ces abominations sont des sièges montés sur vérins, qui bougent en suivant l'action du film. Ils sont accessibles moyennant un supplément de 3€ et sont situés ... aux meilleurs emplacements. Vous le voyez le foutage de gueule ? Evidemment la synchronisation des sièges avec les films est faite en post-production, les films n'étant absolument pas pensés par leurs créateurs pour être visionnés dans ces conditions. C'est un peu comme si le Louvre décidait de se faire du blé sur le dos des amateurs de sensations fortes en leur louant des karts à deux temps pour parcourir les galeries. Et non contents de dénaturer le visionnage des films (à l'instar de la 3D) pour les idiots qui cassent un PEL pour le privilège de s'y asseoir, les sièges D-Box gâchent aussi la séance des spectateurs situés à proximité (à l'instar du popcorn), par le bruit et les vibrations qu'ils génèrent. Et le fait de voir la silhouette de la personne devant pencher alternativement à gauche et à droite.


Eeeet ça desceeend ! Eeeet ça remoooonte ! Le Pathétotron c'est génial !

Et aujourd'hui nous voilà donc avec des placements numérotés. Qu'est-ce à dire que ceci ? Et bien Gaumont-Pathé a fait coller un numéro sur chaque fauteuil de chaque salle de chacun de ses multiplexes, et demande désormais au spectateur qui achète un ticket de choisir précisément le fauteuil où il souhaite s'asseoir. Mais c'est génial ça, me direz-vous, il suffit de s'y prendre à l'avance et plus besoin de faire la course pour entrer dans la salle. Tout à fait, c'est exactement sous cet angle que l'exploitant vend cette innovation. Le discours est bien rôdé et revient dès que des réserves sont émises sur ce système, via les réseaux sociaux ou dans des articles de presse : "Vous choisissez votre place préférée, pas de stress vous arrivez tranquillement votre fauteuil vous attend, et vous êtes placé à côté de vos amis". Mais en pratique ça ne fonctionne pas aussi bien.

Personne n'a de "place préférée", le placement au cinéma se fait au feeling en arrivant dans la salle. Toutes les salles ne sont pas identiques, il est donc impossible d'évaluer sur un plan la distance de l'écran, ni sa taille. Ni la taille de la personne assise devant (c'est bête mais ça peut gâcher une séance), ou une infinité d'autres critères subjectifs. L'absence de stress est toute relative, il vaut mieux arriver en avance pour éviter que notre fauteuil réservé nous attende ... avec quelqu'un déjà assis dedans. Quant aux avantages pour les groupes ils ne sont valables que si les places sont réservées et payées en une fois par une seule personne, ce qui en pratique ne se fait jamais pour des raisons de budget, d'organisation, de tarifs différents ...


Déjà les deux de devant sont trop grands mais en plus y'a plein de petits reflets chelous. C'est clairement pas la place que j'aurais prise si j'avais su !

Par conséquent le système ne fait pas tout à fait l'unanimité. Bien sûr, sur internet ceux qui s'expriment sont souvent ceux qui ne sont pas content tandis que les autres savourent leur satisfaction sans le crier à la face du cyberespace. Dans un souci de représentativité on mettra donc de côté tout ce qu'on peut lire de négatif à ce sujet sur les sites d'avis de consommateurs ou autres forums de discussions cinéphiles. Mais le mécontentement et l'incompréhension se font aussi entendre via des articles de presse sur des multiplexes locaux et dans les salles au début des séances. Certains rouspètent parce que l'écran est trop près, ou parce qu'ils sont assis depuis dix minutes à une place qui ne leur plait pas alors que les heureux détenteurs des meilleurs fauteuils se pointeront la bouche en coeur au dernier moment. Et ceux-ci déchantent lorsqu'arrivant à l'arrache ils trouvent leur siège déjà occupé par quelqu'un décidé à y rester (et ce n'est pas cet article qui lui donnera tort)

Mais difficile de se faire entendre lorsque du côté de la communication officielle les retours de spectateurs sont majoritairement excellents, les quelques réfractaires n'ayant besoin que de temps pour s'habituer. Les CM et autres représentants ponctuent généralement leur démonstration par une remarque infantilisante du style "nous comprenons vos inquiétudes, tout changement nécessite un temps d'adaptation mais vous vous habituerez vite". Au delà de la condescendance de cette affirmation, le problème est que ce n'est pas tant une question de s'habituer au système que de l'accepter. Ce qui prendra beaucoup plus de temps, si jamais ça finit par arriver. Malheureusement, si Pathé-Gaumont s'entête dans cette voie, même les plus remontés contre ce système finiront par lâcher prise. Car il faut se l'avouer, à part aller au conflit individuellement à chaque séance, il n'y a pas grand chose à faire. J'ai tout de même vu, sur un site de consommateurs, un anonyme proposer que les spectateurs mécontent retirent les petites pastilles numérotées sur un maximum de sièges à chaque séance. Et on m'a également suggéré une action coordonnée des détenteurs de la carte Le Pass pour réserver systématiquement les meilleures places à toutes les séances, sans y assister. 


Thug Life

Si la première proposition a un petit côté ludique et peut donner une idée du nombre de réfractaires selon la vitesse à laquelle les numéros disparaissent, elle a peu de chances d'avoir un effet décisif. La seconde en revanche, plus difficile à mettre en place, taperait là où ça fait mal : sur les recettes. En effet, une fois leur carte achetée, les possesseurs du Pass ne sont plus une source de revenus pour Gaumont-Pathé. Au contraire, plus ils l'utilisent et moins c'est rentable pour l'exploitant. En bloquant les meilleurs fauteuils de chaque séance, non seulement ils ne rapportent rien mais en plus ils peuvent dissuader les spectateurs qui paient leur place à l'unité. Si suffisamment d'abonnés jouent le jeu, cela pourrait amener Gaumont-Pathé à réagir.

Parce que c'est bien de cela dont il s'agit, la rentabilité. La numérotation des sièges s'inscrit dans la continuité du premium et des D-box déjà mentionnés, mais aussi des bornes automatiques et des guichets mutualisés (qui vendent à la fois des friandises et des tickets). L'objectif ici est d'augmenter le nombre de réservations par internet. En attribuant une place précise dès la réservation, l'exploitant encourage les réservations à l'avance, qui gagnent à être effectuées à distance pour ne pas se déplacer deux fois ... Il y a quelques mois déjà, Gaumont-Pathé avait organisé une série d'avant-premières exceptionnelles, qui n'étaient accessibles qu'aux "e-billets" (tickets dématérialisés achetés en ligne), une restriction qui est également valable pour les "ventes flash" (tarif réduit le mardi pour les films qui ne seront plus à l'affiche le lendemain). Les réservations en ligne représentent actuellement 30% des achats de tickets, en augmentant cette proportion les frères Seydoux pourront se passer de quelques guichets devenus superflus, ainsi que des gens qui y travaillent. 

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