Largo Winch #20 - Ça sent le moisi

Largo Winch, malgré les airs qu'il se donne, n'a jamais brillé par sa modernité. L'inusable quatrième de couverture de chaque album, qui revendique encore en 2015 d'être "un milliardaire en blue-jeans et baskets", est plutôt symptomatique du décalage entre l'image de coolitude jeune et moderne qu'on veut donner au personnage et les idées rétro que véhiculent ses aventures, tant en terme d'intrigue que d'un point de vue sociétal.


On est en 2015 bordel, même les auteurs de James Bond ont intégré la notion de consentement

Outre un dessin toujours clair et agréable (ce sera ma seule critique "artistique", m'enfin les goûts et les couleurs), les premiers albums de Largo Winch trouvaient leur intérêt dans des scénarios hyper documentés, jouant sur les codes du monde de la finance, et rythmés par des intrigues plutôt bien construites.

Mais ça c'était avant. Déjà le pénultième dyptique (albums #17 et #18), dans lequel le héros se découvrait un frère caché méchant, était risible, mais le dernier en date est grotesque. Le rappel des événements au début de l'album #20 vaut à lui seul le détour : agents triples, attentats suicides, djihadistes manipulés par la CIA elle-même corrompue par un milliardaire russe qui veut prendre la place de Largo Winch, chantage à la sexe tape ... Comme si pour paraitre "actuel" Jean Van Hamme n'avait pas de meilleure idée que régurgiter tel quel, sans aucune prise de recul ni appropriation, ce qu'il a vu aux infos dans l'année.

Aucun effort non plus n'est fait dans l'articulation de tous ces éléments. Du coup de téléphone manqué au post-it qui s'envole quand une porte s'ouvre, tout n'est que hasard, coïncidences et quiproquos, on croirait lire l'adaptation BD d'un vaudeville. Et pendant tout ce temps Largo Winch se morfond. Il a couché avec une inconnue la veille et il est A-MOU-REUX ! Mais elle ne lui donne plus de nouvelles alors il est triste et ne fait rien à part se plaindre. Vraiment. Le rôle-titre passe tout l'album à répéter à qui veut l'entendre que son coup de la veille ne le rappelle pas. Il glandouille dans sa villa, n'écoute pas ce qu'on lui dit, et à un moment se fait des oeufs au plat, en pleurnichant. Je n'ai pas bien compris en quoi c'était un axe nécessaire dans l'évolution globale du personnage. 


Niveau Laurent Lafitte dans Les Petits Mouchoirs

Par contre, s'il y en a un autre qui évolue dans un sens ouvrant des perspectives presques intéressantes pour la suite, c'est Simon. Malheureusement, si l'aboutissement est prometteur, le cheminement exploite un vieux filon de la série, la misogynie. Dans la continuité d'une longue tradition de femmes manipulatrices qui dure depuis le début de la série, Van Hamme prend un malin plaisir à faire subir au personnage de Simon une succession de mésaventures dont la seule et unique cause est : les fâmes!

Je vais spoiler : Simon Ovronnaz, voleur, escroc et obsédé sexuel compulsif, est le meilleur ami de Largo Winch ( ¯_(?)_/¯ ). Depuis quelques épisodes il avait pris un peu de recul par rapport à l'action et vivait une relation de couple stable en marge des aventures de son pote millardaire. Une situation aux antipodes des habitudes du personnage. Dans cet album Simon entre en scène lorsqu'il est interrompu en plein coït par un SMS de son ami Largo qui lui demande de le rejoindre à Londres. Il saute dans un avion après s'être fait copieusement engueuler par sa chérie qui lui reproche de la délaisser pour son bro. "Toutes les mêmes" philosophera-t-il après lui avoir dit au revoir. Arrivé à Londres Simon se rend compte que ce n'est pas Largo qui l'a fait venir mais Silky, lesbienne libidineuse, asiatique (donc fourbe), et pilote attitrée du milliardaire (mais ça on s'en fout, ça ne sert à rien dans l'histoire). Et elle l'a fait venir pour qu'il lui serve de rabatteur involontaire. Oui, de rabatteur. Genre ils sortent dans un bar, Simon accoste des filles et, à son grand désarroi, elles terminent dans le lit de Silky. C'est exactement ce qui se passe. Le scénariste a trouvé que c'était une bonne idée.


Victime du complot lesbo-féministe, Simon décide d'aller cracher sa haine des femmes sur le forum de JVcom

Simon, frustré et déçu, rentre à Amsterdam et trouve sa chérie dans les bras d'un autre ... L'épisode se termine sur un "A suivre ..." lorsqu'en appelant Largo pour avoir les coordonnées d'une de ses copines (pour se consoler) celui-ci l'envoie promener. Entre temps, dans l'avion qui le ramenait aux Pays-Bas il avait fait connaissance par hasard avec le milliardaire russe qui veut la peau de Largo Winch et lui a proposer de bosser pour lui. Tout est en place pour que dans l'épisode suivant Simon trahisse Largo. Et si sur le fond c'est le changement de statu quo le plus prometteur depuis longtemps, sur la forme c'est d'une tristesse absolue:  si le voleur/escroc repenti trahit son meilleur pote ce n'est pas parce que son passé le rattrape, non, c'est la faute des femmes qui font rien que de ne pas vouloir coucher avec lui. En plus, il est délaissé par son bro qui lui se tape tout ce qu'il veut. Et ça ça justifie bien toutes les trahisons du monde quand même.

Ça pourrait prêter à rire tellement c'est con s'il n'existait la possibilité que ce genre de discours trouve résonnance auprès du lectorat de la série. Le nouveau scénariste, Eric Giacometti, qui officiera dès le prochain album aura fort à faire pour redresser la barre et enfin trouver un ton et des idées nouvelles.

 

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